Elle est là, muette, passive, infinie. Elle est sourde. Elle n’entend pas les vrombissements de la ville toute proche, ni les cris des oiseaux qui fendent les derniers rayons de soleil, la frôlant du bout de leurs ailes graciles.
Aujourd’hui, il n’y a pas de vent, juste une brise salée. La plage est presque déserte. Les vacanciers sont retournés dans leurs tours d’acier, mais elle, elle reste là. Comment pourrait-il en être autrement ?
Elle se doit de veiller sur les enfants et les mouettes hurlantes.
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Déjà une heure que je suis là à l’observer. Elle ne semble pas vouloir bouger. A quoi peut-elle songer ? Vers quoi peuvent bien voguer les pensées d’une aussi belle jeune fille ? Ce doit être une de ces adolescentes rêveuses. Comme toutes celles que j’ai croisées, que j’ai aimées autrefois, les mélancoliques qui passent des heures perdues dans leurs pensées, à écrire de la poésie lyrique dans un journal intime, et qui baissent les yeux en rougissant lorsque je croise leur regard et que je leur souris.
Pourtant, celle-ci a quelque chose de différent.
Comme toutes les autres, elle se tient debout face à la mer (qui aurait l’idée saugrenue de rêvasser en tournant le dos à l’océan ?). L’eau lui lèche les chevilles. Mais elle est toute de noir vêtue, en plein été. De quoi fait-elle le deuil ? D’une histoire d’amour ? De sa beauté au paroxysme et qui ne peut maintenant que flétrir ?
Elle fixe l’horizon le plus sérieusement du monde, une main sur chaque hanche, comme une vieille dame fatiguée, accablée par le poids des années et des chagrins passés.
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Une heure qu’elle reprenait son souffle en déversant ses idées dans l’eau salée. Il était parti. Ce matin. Son amour était parti. Elle voulait pleurer mais elle était tellement habituée à rire, tout le temps et pour rien que son corps ne devait pas être fait pour les effusions lacrymales. Il existait en effet deux sortes de personnes en ce bas monde : ceux qui faisaient les pitres et ceux qui riaient devant les petits numéros des pitres en question. Elle faisait partie de la deuxième catégorie. Il faut dire que les compliments qu'elle recevait sur sa dentition parfaite la confortait dans son choix . Mais aujourd'hui, bien qu'elle n'arrivait pas à éclater en sanglot, elle ne pouvait pas rire non plus parce que l'homme qu'elle aimait était parti. Ce matin. Et la seule chose qui tournait en boucle dans sa tête était des bribes d'une vieille chanson : "La vie ne vaut d'être vécue sans amour..."
Elle fixait la mer, triste comme elle ne l'avait jamais été auparavant, et ne pouvait pas pleurer. Elle esquissa un sourire, mais celui-ci ressemblait plutôt à un rictus maladroit. Finalement, elle qui avait eu la prétention de se croire différente de toutes les autres, elle était aussi fleur bleue que ces adolescentes niaises qui croyaient au prince charmant, rêvaient d'un beau mariage et se retrouvaient désabusées en surprenant l'élu de leur cœur dans les bras de leur meilleure amie. Elle avait toujours fait la fière, la femme libre et indépendante. "L'amour, je n'en ai pas besoin, il ne m'est pas nécessaire, c'est juste quelque chose qui rend la vie moins fade et puis ça fait passer le temps."
Foutaises.
A ce moment précis, elle avait envie de mourir. Ce serait facile. L'image de Virginia Woolf se remplissant les poches de cailloux et s'enfonçant dans une rivière lui revint à l'esprit. Elle pourrait mourir maintenant si elle le voulait. Elle se retourna. La nuit tombait, il n'y avait plus personne sur la plage. Elle pourrait disparaître ici et mettre ainsi un terme à cette souffrance.
Elle sourit à nouveau. Elle se trouvait pathétique de vouloir mourir pour un sombre abruti qui l'avait laissé en plan. elle voulait mourir ! Elle qui, il n'y avait pas si longtemps, se moquait de ces gourdes qui pleuraient leur amour perdu comme des veuves siciliennes au lieu de se reprendre en main. Elle qui consolait ses amies en les gratifiant d'un : "allons bon ! Tu t'es faite larguée, tu as l'impression que la Terre a cessé de tourner, mais tout le monde passe par là ! Tu en aimeras d'autres, et ainsi va la vie !"
Ironie du sort. Cela l'avait toujours fasciné, le fait que la plupart des gens soient de très bon conseil et analysent parfaitement la vie de leurs proches, mais agissent de façon totalement irrationnelle lorsqu'il s'agit de leur propre existence. Cette pensée la revigora. Elle avait la tête pleine de rêves et pas encore vingt ans !
Il était donc hors de question qu'elle mette fin à ses jours ! Voilà, ça y est, elle en était sûre maintenant : elle allait vivre et faire chavirer d'autres cœurs… cette fois-ci, elle rit, discrètement, mais avec conviction. Elle ramassa des galets aplatis et les fit ricocher sur la mer, sa confidente. Puis elle s'en alla, en laissant ses idées morbides se noyer dans l'onde calme et noire.
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La mer avalait ces pensées pour les emmener loin, au gré des courants et peut-être les laisser s'échouer sur une plage des antipodes… La jeune fille ne voulait pas mourir finalement. Pourtant elle aurait pu l'accueillir. La faire flotter comme Ophélia, l'héroïne maudite. Son beau visage aurait été éclairé par les étoiles, ses cheveux auraient ondulé dans l'eau, pour toujours. Ça aurait été sublime.
Mais il en sera tout autrement, la vie ne se laissera pas faire. Déjà, la jeune fille a repris des couleurs, elle fait des ricochets comme pour narguer l'étendue ondoyante :"désolée ma vieille, mais ce n'est pas ce soir que tu m'auras, mais ne sois pas fâchée, hein"
Et elle s'en va en souriant. Elle reviendra peut-être un jour. La mer est patiente.
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La nuit venait, mais il continuait à observer la jeune fille qui, elle, observait la mer. On aurait dit deux bonnes copines en train de s'échanger des secrets inavouables.
Il avait vu la jeune fille quitter sa posture d'octogénaire fatiguée et se redresser fièrement. Tout d'un coup, ses épaules s'étaient mises à trembler, comme si elle pleurait. Il avait pensé pendant une seconde à traverser la plage pour aller la consoler, puis il s'était ravisé en réalisant que la fille ne sanglotait pas…Elle riait !
Etrange… Décidément, elle avait quelque chose de très intrigant. Mais il devait avoir le double de son âge, et il avait soudain l'impression d'être comme tous ces vieux pervers qui arpentent les plages. Alors il se leva sans faire le moindre bruit, laissant son ombre se perdre dans le sable et la jeune fille seule avec la mer.
16 mai 2009
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1 commentaire:
tres interessant, merci
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